Obligations octobre 2025 : Naviguer dans un environnement de taux complexe
Le marché obligataire, souvent considéré comme l'actif "sans risque" ou du moins prévisible, traverse en octobre 2025 une période de complexity qui déroute même les investisseurs chevronnés. Les courbes de taux affichent des configurations inhabituelles, les anticipations sur la politique monétaire changent constamment, et les rendements oscillent dans des fourchettes relativement larges. Pour les investisseurs en quête de revenus ou de diversification, comprendre ces dynamiques est essentiel.
La courbe des taux : un signal toujours pertinent
La courbe des taux américaine, référence mondiale, présente une configuration qui mérite attention. Le Treasury à 2 ans rend environ 4,25%, tandis que le 10 ans offre 4,60%, et le 30 ans 4,85%. Cette pente positive (les taux longs supérieurs aux taux courts) est redevenue "normale" après près de deux ans d'inversion (2022-2024), où les taux à 2 ans dépassaient les taux à 10 ans.
Historiquement, une courbe inversée précède souvent les récessions, car elle signale que les marchés anticipent des baisses de taux futures pour contrer un ralentissement économique. La normalisation de la courbe en 2025 suggère donc que les craintes de récession imminente se sont dissipées, remplacées par un scénario d'atterrissage en douceur (soft landing) où l'économie ralentit sans s'effondrer.
Cependant, la faible pente de la courbe (seulement 60 points de base entre le 2 ans et le 30 ans) indique que les marchés restent prudents. Une courbe normale typique affiche un écart de 100 à 150 points de base. Cette faible pente signale soit que les investisseurs doutent de la croissance long terme, soit qu'ils anticipent un retour de l'inflation obligeant la Fed à maintenir des taux élevés.
Pour les investisseurs, cette configuration crée un dilemme. Acheter des obligations longues (10 à 30 ans) offre un rendement supplémentaire modeste (35 à 60 points de base) par rapport aux obligations courtes, tout en prenant un risque de duration beaucoup plus élevé. Si les taux remontent, les obligations longues perdront significativement plus de valeur que les courtes. Le ratio risque/rendement ne semble pas exceptionnel dans cette configuration.
Les obligations d'État : des rendements redevenus attractifs
Après une décennie de taux ultra-bas (2010-2021), les obligations d'État offrent enfin des rendements réels positifs. Un Treasury à 10 ans à 4,60%, dans un environnement d'inflation à 2,5-3%, génère un rendement réel de 1,6 à 2,1%. Ce n'est pas extraordinaire, mais c'est nettement mieux que les rendements réels négatifs de 2020-2022.
En Europe, les obligations allemandes (Bunds) rendent environ 3,20% à 10 ans, les OAT françaises 3,80%, et les BTP italiennes 4,50%. Ces écarts (spreads) reflètent les perceptions de risque souverain : l'Allemagne, avec sa dette publique de 60% du PIB, est perçue comme ultra-sûre, tandis que l'Italie, à 140% de dette/PIB, présente un risque plus élevé.
Pour un investisseur français, l'arbitrage entre OAT et Bunds se pose. Les 60 points de base supplémentaires offerts par les OAT compensent-ils le risque supplémentaire ? Probablement oui, car la France, malgré ses défis budgétaires, reste une économie solide avec une dette libellée en euros et une capacité de refinancement assurée. Cependant, les investisseurs très conservateurs ou les institutionnels soumis à des contraintes réglementaires privilégieront les Bunds.
Les obligations périphériques (Espagne, Portugal, Grèce) offrent des rendements de 4 à 5%, attractifs mais avec des risques politiques et économiques non négligeables. La Grèce, bien que sortie de crise, reste fragile. L'Espagne et le Portugal affichent de meilleurs fondamentaux et pourraient représenter un compromis intéressant rendement/risque.
Les obligations d'entreprises : le crédit retrouve ses couleurs
Le marché du crédit (obligations d'entreprises) a connu des années difficiles en 2022-2023, avec des spreads qui s'étaient élargis significativement lors des craintes de récession. En octobre 2025, la situation s'est normalisée. Les obligations investment grade (notées BBB- ou mieux) américaines offrent des rendements de 5,5 à 6,5%, soit des spreads de 90 à 150 points de base au-dessus des Treasuries comparables.
Ces spreads sont proches de leurs moyennes historiques, suggérant que le marché évalue correctement le risque de défaut. En effet, les taux de défaut sur les investment grade restent très faibles, autour de 0,1 à 0,2% par an. Pour un investisseur, le risque de perdre son capital est donc minimal, tout en bénéficiant d'un rendement supérieur d'environ 1 à 1,5 point aux obligations d'État.
Les secteurs les plus intéressants en octobre 2025 sont les financières (banques, assurances), qui ont considérablement renforcé leurs bilans depuis 2008, et les utilities (électricité, gaz), dont les revenus sont stables et régulés. Les obligations d'entreprises technologiques (Apple, Microsoft, Google) offrent des rendements inférieurs (5 à 5,5%) en raison de leur solidité financière exceptionnelle, mais restent attractives pour les investisseurs très conservateurs.
Le segment high yield (obligations notées en dessous de BBB-) offre des rendements de 8 à 12%, mais avec des risques de défaut significativement plus élevés (taux de défaut de 2 à 5% selon les cycles). Ce segment convient aux investisseurs expérimentés capables de sélectionner les émetteurs ou d'utiliser des ETF diversifiés pour diluer le risque.
La duration : comprendre et gérer ce risque clé
La duration, concept central en investissement obligataire, mesure la sensibilité d'une obligation aux variations de taux. Une obligation avec une duration de 7 ans perdra environ 7% de sa valeur si les taux montent de 1 point de pourcentage (100 points de base). Inversement, elle gagnera 7% si les taux baissent d'un point.
En octobre 2025, les obligations longues américaines (10 à 30 ans) affichent des durations de 8 à 15 ans. C'est considérable : une hausse de taux de seulement 50 points de base (0,5%) provoquerait une perte de 4 à 7,5% sur la valeur de l'obligation. Certes, l'investisseur conservant l'obligation jusqu'à l'échéance récupérera son capital, mais en attendant, la valeur de marché fluctuera significativement.
Cette sensibilité explique pourquoi beaucoup d'investisseurs prudents privilégient actuellement les obligations courtes (1 à 5 ans), avec des durations de 1 à 4 ans. Le sacrifice de rendement (30 à 60 points de base) est compensé par une volatilité beaucoup plus faible. Si les taux montent, les pertes seront limitées. Si les taux baissent, les gains seront modestes, mais l'investisseur pourra réinvestir les coupons et le capital à échéance dans de nouvelles obligations.
Une stratégie populaire est le "barbell" (haltère) : investir dans des obligations très courtes (1 à 3 ans) et des obligations longues (20 à 30 ans), en évitant le milieu de courbe (5 à 10 ans). Cette approche combine la liquidité des courtes avec le rendement des longues, tout en maintenant une duration moyenne maîtrisée.
L'inflation : le grand risque pour les obligations
L'ennemi principal des obligations est l'inflation. Une obligation à taux fixe perd du pouvoir d'achat si l'inflation accélère, car les coupons et le capital remboursé valent moins en termes réels. En octobre 2025, l'inflation américaine autour de 2,5-3% et européenne à 2,1% sont relativement contenues, mais le risque d'une résurgence existe.
Pour se protéger, les investisseurs peuvent utiliser des obligations indexées sur l'inflation. Aux États-Unis, les TIPS (Treasury Inflation-Protected Securities) ajustent leur capital en fonction de l'inflation mesurée par le CPI. En France, les OATi et OAT€i offrent une protection similaire. Ces obligations rendent actuellement des rendements réels de 2 à 2,5%, garantissant le pouvoir d'achat.
L'inconvénient des TIPS est qu'elles sous-performent si l'inflation reste faible ou décroche. De plus, leur fiscalité est moins avantageuse (les ajustements d'inflation sont imposés annuellement même si non encaissés). Pour un investisseur long terme anticipant une inflation modérée mais persistante, un mix 60-70% d'obligations classiques et 30-40% de TIPS semble équilibré.
Les ETF obligataires : simplicité et diversification
Pour les investisseurs particuliers, construire un portefeuille obligataire diversifié (plusieurs dizaines d'émetteurs, maturités variées) est complexe et coûteux. Les ETF obligataires offrent une solution élégante : diversification immédiate, liquidité quotidienne, et frais de gestion réduits (0,05 à 0,30% par an).
Les ETF les plus populaires incluent iShares Core US Aggregate Bond (AGG) pour une exposition large au marché obligataire américain, Vanguard Total Bond Market (BND) équivalent, et pour l'Europe iShares Core Euro Government Bond (IEGV) ou Lyxor Euro Government Bond (GOVY). Ces ETF répliquent des indices obligataires diversifiés, offrant un rendement proche de la moyenne du marché avec un risque minimal.
Pour les investisseurs cherchant du rendement supplémentaire, des ETF spécialisés existent : high yield (JNK, HYG), obligations émergentes (EMB), obligations d'entreprises investment grade (LQD, VCIT). Attention cependant à bien comprendre les risques spécifiques de chaque segment avant d'investir.
Un piège à éviter : les ETF obligataires à duration longue (AGG a une duration de 6 ans environ). Si les taux montent, ces ETF peuvent perdre 5 à 10% de leur valeur. Pour les investisseurs privilégiant la stabilité, des ETF obligataires courts (duration 1 à 3 ans) comme VGSH ou SHY sont préférables.
Les alternatives aux obligations classiques
Au-delà des obligations traditionnelles, plusieurs alternatives offrent des revenus fixes ou semi-fixes. Les obligations convertibles combinent caractéristiques d'obligations (coupons réguliers) et d'actions (possibilité de conversion en actions si le cours monte). Elles offrent un compromis intéressant : rendement de 3 à 5%, avec un potentiel de gain si l'action sous-jacente performe.
Les preferred shares (actions privilégiées), émises notamment par les banques et utilities américaines, offrent des dividendes fixes de 5 à 7%. Elles se comportent comme des hybrides entre obligations et actions, avec une priorité sur les actionnaires ordinaires en cas de faillite mais après les obligataires. Le risque est donc intermédiaire.
Les BDC (Business Development Companies), spécifiques au marché américain, prêtent aux PME et distribuent la majorité de leurs revenus sous forme de dividendes. Elles offrent des rendements de 9 à 12%, mais avec des risques significatifs (concentration sur les PME, effet de levier). Ce segment convient aux investisseurs agressifs cherchant du rendement élevé.
Enfin, les CLO (Collateralized Loan Obligations), produits complexes de titrisation de prêts, offrent des rendements de 6 à 10% selon les tranches. Les tranches AAA sont relativement sûres, tandis que les tranches BB ou inférieures présentent des risques élevés. Ces produits, accessibles via des ETF spécialisés, requièrent une compréhension approfondie.
Stratégie d'allocation obligataire pour octobre 2025
En synthèse, quelle stratégie obligataire adopter en octobre 2025 ? Pour un investisseur conservateur cherchant à préserver son capital, privilégier les obligations courtes (1 à 5 ans) investment grade ou obligations d'État, avec une duration totale du portefeuille inférieure à 4 ans. Accepter un rendement de 4 à 5%, inférieur aux actions mais avec une volatilité bien moindre.
Pour un investisseur équilibré, un mix 50% d'obligations courtes / 30% d'obligations intermédiaires (5 à 10 ans) / 20% de crédit investment grade ou obligations indexées inflation offre un bon compromis rendement/risque. Le rendement attendu serait de 4,5 à 5,5%, avec une volatilité modérée.
Pour un investisseur agressif, intégrer du high yield (15-20% du portefeuille obligataire), des obligations émergentes (10-15%), et des obligations convertibles (10-15%) peut booster le rendement vers 6 à 7%, mais au prix d'une volatilité accrue et d'un risque de perte en capital en cas de crise.
Une règle simple : adapter la duration du portefeuille obligataire à son horizon d'investissement. Horizon court (moins de 3 ans) = obligations courtes uniquement. Horizon moyen (5 à 10 ans) = mix court/intermédiaire. Horizon long (10 ans et plus) = possibilité d'inclure des obligations longues pour capter le rendement supérieur, en acceptant les fluctuations de valeur.
Conclusion : les obligations retrouvent leur place dans les portefeuilles
Après une décennie où les obligations offraient des rendements dérisoires (voire négatifs), forçant les investisseurs vers les actions et l'immobilier, 2025 marque un retour à la normalité. Des rendements de 4 à 6% selon le risque pris sont de nouveau disponibles, permettant aux obligations de retrouver leur rôle traditionnel : préserver le capital, générer des revenus, et diversifier un portefeuille.
Cette normalisation est une bonne nouvelle pour les investisseurs long terme. Un portefeuille diversifié actions/obligations redevient efficace, les obligations jouant leur rôle d'amortisseur lors des corrections actions. Pour les retraités ou ceux approchant de la retraite, construire une échelle d'obligations (bond ladder) permettant de générer des revenus prévisibles est à nouveau viable.
Cependant, la complexité du marché obligataire actuel (courbes plates, incertitudes sur l'inflation et la croissance) impose une gestion active ou semi-active. Investir en obligations aujourd'hui n'est plus une décision "fire and forget" mais requiert un suivi et des ajustements réguliers.
FAQ
Les obligations peuvent-elles encore perdre de la valeur si les taux montent ?
Oui, mais avec les rendements actuels, les pertes potentielles sont compensées plus rapidement par les coupons. Une obligation à 4,5% récupère une perte de 4,5% en un an grâce au coupon.
Vaut-il mieux acheter des obligations individuelles ou des ETF ?
Pour les petits portefeuilles (< 100 000€), les ETF sont plus efficaces (diversification, liquidité). Pour les gros portefeuilles, les obligations individuelles permettent de contrôler précisément les échéances.
Les obligations sont-elles toujours utiles si les actions peuvent rendre 8-10% ?
Oui, pour la diversification et la réduction de volatilité. Un portefeuille 60/40 actions/obligations subit des corrections de 15-20% contre 30-40% pour un portefeuille 100% actions.