Semiconducteurs octobre 2025 : ASML et TSMC face aux incertitudes de la demande
Le secteur des semiconducteurs, qui avait brillé en 2023-2024 porté par l'euphorie de l'IA, traverse une phase de consolidation en octobre 2025. ASML, le géant néerlandais des équipements de lithographie, a vu son action reculer de 18% depuis juillet, s'établissant autour de 710 euros. TSMC, le fondeur taïwanais incontournable, se maintient mieux mais affiche tout de même une baisse de 8% à 145 dollars (ADR).
Les signaux contradictoires du marché
Ce qui rend le secteur particulièrement difficile à lire en ce moment, ce sont les signaux contradictoires émis par différents segments. D'un côté, la demande de puces pour l'intelligence artificielle reste exceptionnellement forte. Les GPU Nvidia H100 et B200 continuent d'afficher des délais de livraison de plusieurs mois, témoignant d'une pénurie persistante. Les géants du cloud (Microsoft, Amazon, Google) investissent massivement dans leurs datacenters IA, commandant des volumes records de puces spécialisées.
De l'autre, la demande pour les puces traditionnelles (PC, smartphones, automobile) reste atone. Le marché des PC, qui avait connu un rebond en 2023-2024 avec le cycle de remplacement Windows 11, replonge avec des ventes mondiales en baisse de 6% sur les neuf premiers mois de 2025. Les smartphones premium se vendent relativement bien, mais le volume global stagne, la durée de conservation des téléphones s'allongeant (les consommateurs gardent leur appareil 3 à 4 ans contre 2 à 3 ans auparavant).
L'automobile, qui était censée devenir un relais de croissance majeur avec l'électrification, déçoit. Les ventes de véhicules électriques en Europe et en Chine progressent moins vite qu'anticipé, impactant la demande de semiconducteurs automobiles. Ce segment, qui représente environ 12% du marché total des puces, affiche une croissance de seulement 4% en 2025, bien en deçà des 15-20% prévus il y a deux ans.
ASML : victime collatérale des tensions sino-américaines
ASML occupe une position unique dans l'écosystème des semiconducteurs : c'est le seul fabricant au monde de machines de lithographie EUV (Extreme Ultraviolet), indispensables pour produire les puces les plus avancées (processus de 7 nanomètres et en dessous). Cette exclusivité lui conférait un pouvoir de pricing exceptionnel et des carnets de commandes remplis pour plusieurs années.
Pour ASML, la Chine représentait environ 25 à 30% de ses ventes ces dernières années, un marché désormais compromis. Les commandes chinoises se sont effondrées au troisième trimestre, chutant de 65% en glissement annuel. Certes, ASML compense partiellement par une demande robuste en Corée du Sud (Samsung), à Taïwan (TSMC), et aux États-Unis (Intel), mais le manque à gagner est substantiel.
Au-delà des revenus immédiats, c'est la visibilité long terme qui inquiète les investisseurs. Si la Chine développe ses propres capacités de fabrication d'équipements (un objectif stratégique de Pékin), ASML pourrait perdre définitivement un marché qui représentait un pilier de croissance. Les analystes ont donc révisé leurs prévisions de croissance pour ASML de 15-20% par an à 8-12%, justifiant la correction boursière.
TSMC : le fondeur qui domine mais qui s'inquiète
TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) fabrique les puces conçues par d'autres entreprises - un modèle appelé "pure-play foundry". Avec environ 60% de parts de marché mondial dans ce segment et une quasi-exclusivité sur les processus les plus avancés (3nm et bientôt 2nm), TSMC semblait inattaquable.
Pourtant, plusieurs nuages s'accumulent. Premièrement, Apple, le plus gros client de TSMC (représentant environ 25% du chiffre d'affaires), ralentit ses commandes. L'iPhone 16 se vend moins bien que prévu, et Apple se montre plus conservateur sur ses prévisions de volume pour 2026. Cette prudence reflète la saturation du marché des smartphones premium et l'allongement des cycles de renouvellement.
Deuxièmement, les marges de TSMC sont sous pression. La transition vers des processus toujours plus fins (2nm prévu pour 2026) requiert des investissements colossaux en R&D et en équipements. TSMC prévoit d'investir 40 milliards de dollars en 2025, un niveau record qui pèse sur la rentabilité à court terme. La marge opérationnelle, traditionnellement autour de 45%, pourrait reculer vers 40-42% selon les analystes.
Troisièmement, le risque géopolitique taïwanais ne disparaît pas. Bien que TSMC construise des fabs (usines de fabrication) aux États-Unis et au Japon pour diversifier, la majeure partie de sa capacité de production reste concentrée à Taïwan. Toute escalade des tensions dans le détroit pourrait bouleverser l'approvisionnement mondial en puces avancées, un scénario cauchemar pour l'industrie tech.
Malgré ces défis, TSMC conserve des atouts majeurs. Son avance technologique sur Samsung et Intel reste significative, et la demande de puces IA continue de compenser les faiblesses ailleurs. Les revenus liés à l'IA (HPC - High Performance Computing) représentent désormais 15% du total et croissent à plus de 50% par an.
Intel : le retour hypothétique
Intel, longtemps leader incontesté des processeurs, a perdu du terrain face à AMD sur les PC et serveurs, et face à ARM sur le mobile. Cependant, le plan de redressement lancé par le CEO Pat Gelsinger en 2021 commence à porter ses fruits. Intel a réussi à rattraper son retard technologique, avec des processus 18A (équivalent 1,8nm) qui rivaliseront avec TSMC à partir de 2025-2026.
Plus stratégique encore, Intel construit une activité de fonderie (Intel Foundry Services) pour fabriquer des puces pour d'autres entreprises, imitant le modèle TSMC. Cette diversification est soutenue par des subventions gouvernementales massives aux États-Unis (CHIPS Act), en Europe, et en Israël. Intel a annoncé 100 milliards de dollars d'investissements sur cinq ans dans de nouvelles fabs.
Cependant, cette transformation est coûteuse et risquée. Intel affiche des pertes sur son activité fonderie, et le retour à la rentabilité n'est pas attendu avant 2027-2028. L'action, qui se négocie autour de 22 dollars, reste sous pression, les investisseurs doutant de la capacité d'Intel à rivaliser réellement avec TSMC et Samsung sur le segment fonderie.
Nvidia : l'exception qui confirme la règle
Dans ce paysage morose, Nvidia brille par son exception. L'action, autour de 850 dollars, a progressé de 145% depuis le début de l'année, portée par une demande insatiable de ses GPU pour l'IA. Le chiffre d'affaires de Nvidia a plus que doublé, atteignant 60 milliards de dollars sur les douze derniers mois, avec des marges opérationnelles dépassant 60%.
Cette performance extraordinaire masque toutefois des questions sur la soutenabilité. Nvidia bénéficie actuellement d'une situation de quasi-monopole sur les GPU pour l'IA générative, mais la concurrence s'intensifie. AMD lance ses puces Instinct MI300, Google développe ses propres TPU (Tensor Processing Units), et Amazon conçoit ses processeurs Trainium. Intel, Microsoft, et même Apple investissent dans des solutions propriétaires.
De plus, les dépenses d'infrastructure IA des géants tech ne peuvent croître indéfiniment. À un moment, la rentabilisation de ces investissements massifs devra être démontrée. Si les revenus générés par l'IA ne suivent pas le rythme des dépenses, un ralentissement brutal des commandes de GPU pourrait survenir, rappelant le crash des cryptomonnaies qui avait fait plonger Nvidia en 2018.
Les analystes les plus prudents estiment que Nvidia pourrait voir sa croissance ralentir significativement en 2026-2027, passant de 100%+ aujourd'hui à 20-30%. Ce ralentissement, même vers une croissance encore enviable, pourrait déclencher une réévaluation violente d'une action qui se traite à 45 fois les bénéfices prévisionnels.
Les cycles d'inventaires : un facteur souvent négligé
Le secteur des semiconducteurs est historiquement soumis à des cycles d'inventaires prononcés. Quand la demande est forte, les clients sur-commandent par précaution, gonflant artificiellement les carnets de commandes. Quand la demande faiblit, les clients réduisent drastiquement leurs commandes pour écouler leurs stocks, amplifiant la baisse.
En octobre 2025, plusieurs signaux suggèrent que nous pourrions être dans une phase de réajustement des inventaires, notamment dans le segment auto et industriel. Les distributeurs de puces rapportent des niveaux de stocks supérieurs à la normale, et les délais de livraison se sont considérablement raccourcis (de 20-26 semaines en 2022 à 10-14 semaines aujourd'hui pour beaucoup de références).
Ce phénomène est normal et cyclique, mais il crée de l'incertitude à court terme. Les fabricants de puces réduisent leurs prévisions de production, impactant leurs fournisseurs d'équipements comme ASML ou Applied Materials. Le secteur pourrait ainsi traverser 2-3 trimestres difficiles avant que les stocks ne se normalisent et que la demande réelle réapparaisse.
Stratégie d'investissement dans le secteur
Pour les investisseurs, le secteur des semiconducteurs présente un profil risque/rendement complexe. À long terme, les tendances structurelles restent favorables : digitalisation, IA, véhicules autonomes, objets connectés. La demande de puces continuera de croître, et les leaders technologiques comme TSMC, ASML, et Nvidia conserveront des positions dominantes.
À court terme cependant, la prudence s'impose. Les valorisations, bien qu'en baisse, restent élevées (ASML à 28x, TSMC à 20x, Nvidia à 45x les bénéfices), laissant peu de marge d'erreur. Tout dérapage sur les résultats ou révision à la baisse des guidances pourrait déclencher des corrections supplémentaires.
Une approche graduelle, consistant à accumuler progressivement des positions sur les replis, semble plus sage qu'un investissement massif immédiat. Les niveaux techniques à surveiller pour ASML sont le support à 680 euros et la résistance à 750 euros. Pour TSMC, support à 135 dollars, résistance à 155 dollars.
Les investisseurs doivent également diversifier au sein du secteur, en mélangeant des expositions aux équipementiers (ASML, Applied Materials), aux fondeurs (TSMC, Samsung), et aux concepteurs de puces (Nvidia, AMD, Broadcom). Cette diversification réduit le risque spécifique à une entreprise ou un sous-segment.
Conclusion : un secteur en transition qui requiert patience
Le secteur des semiconducteurs traverse une phase de transition entre l'euphorie de 2023-2024 et une nouvelle normalité où la croissance, bien que positive, sera plus modérée. Les incertitudes géopolitiques, les cycles d'inventaires, et les questions sur la monétisation de l'IA créent un brouillard qui dissimule la visibilité long terme.
Pour les investisseurs patients et sélectifs, cette période de consolidation offrira probablement des points d'entrée intéressants sur des sociétés de qualité exceptionnelle. Mais le timing est crucial, et tenter d'attraper un couteau qui tombe reste dangereux. Attendre des signes de stabilisation et de reprise de la demande serait plus prudent que de précipiter des achats.
FAQ
Le secteur des semiconducteurs est-il en bulle ?
Certaines valorisations (Nvidia notamment) sont tendues, mais le secteur global n'est pas en territoire de bulle. Les fondamentaux restent solides long terme.
ASML peut-il retrouver ses sommets de 2024 ?
Oui, à condition que les tensions Chine-USA s'apaisent et que la demande IA reste forte. Mais cela prendra probablement plusieurs trimestres.
TSMC est-il un bon investissement malgré le risque taïwanais ?
Pour les investisseurs acceptant ce risque géopolitique, TSMC offre une exposition de qualité au secteur. La diversification géographique de ses fabs réduit progressivement ce risque.